La réalité augmentée au service de l’enseignement de l’Histoire à l’école

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La tablette survole la carte. Elle capte un symbole qui s’affiche sur l’écran.
Un parcours d’apprentissage est proposé.

Titre de la thèse de doctorat : Usage de la réalité augmentée pour l’enseignement de l’Histoire à l’école

Doctorant : Xavier Nédélec.

Dir. de thèse : Thibaud Hulin.

Ecole doctorale : LECLA.

Laboratoire : ELLIADD, UFC.

Ce doctorat s’inscrit dans le cadre du projet IRRIGATE, financé par la région Bourgogne-Franche-Comté.

Impulsé depuis quelques années par le Ministère de l’Education Nationale, le numérique se généralise à l’école. Les campagnes d’investissement se succèdent. Les programmes intègrent des compétences spécifiques à l’apprentissage du numérique, des ressources étoffent l’offre pédagogique et des plans de formation sont proposés aux enseignants. Ainsi la gamme des objets informatisés et connectés croît dans les environnements professionnels des enseignants. Ces derniers sont contraints par choix ou non d’adapter et de renouveler certaines de leurs pratiques pédagogiques (Hamon et Villemonteix 2015).

Il en va de même pour la recherche en didactique. Où, nécessairement, la révolution numérique en éducation oblige à observer les effets de l’usage d’outils numériques sur les théories de l’apprentissage (Lacelle 2014). Et au-delà, la technologie de la réalité augmentée (RA) soulève les mêmes interrogations sur son adaptation à la sphère de la didactique et aux modèles pédagogiques qui la sous-tendent.

La technologie de la RA est élaborée dans la deuxième moitié du XXe siècle. Elle a pour but de créer une simulation 3D visible grâce à des lunettes ou à un casque. L’amélioration du dispositif conduit à afficher des informations virtuelles devant les yeux de l’utilisateur. Des industries ont adopté le dispositif de RA comme l’aviation. Dans les années 2010 le public découvre la réalité augmentée. Ce sont notamment les lunettes Google Glass mais qui ne connaissent pas le succès escompté.

Accélération de la RA

Pour autant l’accélération de l’utilisation de la RA se poursuit toujours. Grâce à l’application Snapchat et au succès mondial du jeu Pockémon Go, l’utilisateur se déplace dans un environnement réel afin de capturer des Pockémon. Quant au logiciel Arkit d’Apple, il permet d’incruster dans l’image captée par la caméra de l’iPhone des éléments numériques. Ceux-ci s’affichent de façon cohérente avec l’environnement ce qu’utilise par exemple la marque Ikea pour simuler la présence de ses meubles dans son salon.

Nous le constatons, la réalité augmentée s’installe dans notre univers réel et son développement ne cesse de croître. Selon le site d’information Fortune Busness Insights, le marché de la RA estimé en 2020 dans le monde à 4, 16 milliards de dollars est passé à 6,12 milliards en 2021 et devrait atteindre près de 97 milliards en 2028. Les raisons invoquées sont la reprise de la demande post Covid de nombreux secteurs de l’économie (industrie, santé, jeu, éducation,…)1.

Alors, force est de constater que l’usage de la réalité augmentée est de plus en plus prégnante dans notre environnement quotidien. Evidemment, l’école et l’éducation n’échappent pas à l’impact des applications de réalité augmentée dans le champ de la pédagogie. Il convient donc de s’interroger sur le bénéfice d’utiliser cette technologie pour les apprentissages des élèves. Il nous faut aussi questionner sa place et son intégration dans la pédagogie de l’enseignant.

Enseigner l’histoire par la RA

Ainsi, ce projet d’étude est centré sur l’enseignement de l’Histoire comme discipline scolaire pour le niveau de cm2. Son champ expérimental s’appuiera sur une application de réalité augmentée qui serait à concevoir. La question est de savoir si elle pourrait permettre d’envisager une méthodologie de conception suffisamment générique qui puisse être transposable à d’autres disciplines et ou d’autres niveaux ? Cette question revient à s’intéresser à la didactique de l’Histoire. Il s’agit aussi d’observer si l’usage de la RA peut faire évoluer de manière positive son enseignement.

Par conséquent, dans un premier temps, afin de répondre à ces questions, nous rédigerons un état de l’art. Celui-ci étudiera l’usage de la réalité augmentée en éducation. Nous étudierons aussi les méthodes de conception de RA pour la formation et l’éducation et de la didactique de l’histoire afin d’éclairer notre regard sur la recherche actuelle dans ces domaines. Ensuite, nous dresserons une méthodologie de travail du projet. Celle-ci sera fondée sur une recherche qualitative intégrant une Recherche Orientée par la Conception (ROC) pour élaborer une application de RA. Enfin, nous développerons une dernière partie autour de la conception de cette application. C’est ici qu’intervient un acteur culturel : le musée de la Grande Guerre de Meaux. Nous proposerons une suggestion de calendrier.

Etat de l’art sur la réalité augmentée à l’école

Définition de la réalité augmentée

Sur le site Wikipédia, la réalité augmentée est définie comme suit « la superposition de la réalité et d’éléments (sons, images 2D, 3D, vidéos, etc.) calculés par un système informatique en temps réel. ». La réalité telle qu’elle se présente est amendée via des informations informatisées apparaissant sur nos écrans (lunettes ou smartphone). Toutefois, nous pourrions approfondir cette définition comme le suggère P. Fushs, qui précise que l’explication technique ne suffit pas à la définir entièrement et ne permet pas d’entrevoir sa richesse. En effet, le principe de la réalité augmentée est de déterminer ce qui est augmenté.

Evidemment, la réalité physique ne peut pas être augmentée. Cependant, nous estimons que c’est la perception que l’on fait de cette réalité qui est modifiée. Et de préciser que cette perception n’a de finalité que notre action sur le réel. Donc, le rôle de la RA permet « de favoriser la compréhension et la maîtrise du réel ». Il s’agit aussi d’y « réaliser des activités sensi-motrices et cognitives » (Fuchs, Hugues, et Nannipieri, s. d.). Par ailleurs, nous sobservons l’amélioration technique des smartphones et des tablettes. Grâce à l’ajout de plusieurs caméras, l’interfaçage s’est simplifié et son usage s’est accru (Dugas 2018). Le monde artificiel apparaît lorsqu’un déclencheur est capté par la caméra de l’appareil mobile ou d’un ordinateur.

Usage de la réalité augmentée en éducation

Concernant l’usage de la réalité augmentée pour l’éducation, celui-ci existe mais n’est pas pleinement exploité. Les premières utilisations de la RA pour l’apprentissage datent des années 90. En France, peu d’enquêtes présentent un tableau exhaustif de son intégration dans les pratiques pédagogiques des enseignants. Celle de Canopé interroge les usages des technologies immersives (réalité augmentée, réalité virtuelle, réalité mixte, 360°). Elle est principalement centrée sur les enseignants du secondaire et du supérieur. L’enquête ne permet pas d’avoir un regard quantitatif du nombre d’enseignants utilisant des procédés d’immersion dans leur enseignement. Cependant, l’objectif est « d’être en capacité d’identifier les enseignants qui avaient déjà utilisé des techniques d’immersion pour la réalisation de projets pédagogiques et éducatifs ». L’auteure dresse un tableau qualitatif du type d’usage qu’il en est fait (Brossard, s.d.). L’étude constate entre autre que la RA est une des technologies les plus usitées dans l’enseignement.

Certes, il n’existe pas de données suffisamment significatives sur le déploiement des technologies immersives dans l’éducation. Pourtant, le développement d’applications de RA utilisables avec un smartphone ou une tablette accroît son usage en classe. Son mode de fonctionnement créé un lien entre l’apprenant et le contenu qui a priori améliorerait son apprentissage (Antaya 2017). Ainsi, la RA s’expose sous différents formats. Nous pouvons trouver une variété de solutions comme le QR code qui affiche un contenu virtuel. D’autre part, des applications au service de la lecture offrent une assistance à la dyslexie2 (imagiers interactifs). Enfin, la combinaison de la réalité augmentée et du jeu sérieux ou encore des livre enrichis numériquement (Dugas 2018).

Les freins au déploiement de la réalité augmentée en classe

Pour autant, des freins à son déploiement et à son exploitation en classe sont existants et identifiés…

  • L’ergonomie du matériel qui parfois n’autorise pas une utilisation efficiente en situation de classe liée à des difficultés de tous ordres (techniques, visuels,…).
  • Le manque de formation des enseignants est très souvent pointé du doigt d’une manière générale lorsque l’on aborde la question du numérique à l’école (Dugas 2018).

Mais il est à noter que la réalité augmentée est semblable à d’autres technologies immersives. Elle se situe pour l’heure dans une phase exploratoire au sein des dispositifs pédagogiques. Pourtant, des projets de technologies immersives se développent, y compris dont certains en réalité augmentée. Les institutions éducatives (DNE, Eduscol, DANE, Canopé) promeuvent les initiatives du numérique éducatif à destination des écoles. Elles lancent des projets de recherche appliquée avec publication par le biais de « groupes thématiques numériques ». Un d’eux a pour thème : « immersion numérique et réalité virtuelle».

Dans le prolongement de ces expériences, des ressources diffusées sur des sites académiques permettent de créer des situations d’apprentissage. Celles-ci détournent la finalité de certaines applications comme Story Sphère. Cet outil aide à construire des vidéos 360°. Citons aussi le site de l’académie de Lille qui fournit des tutoriels. Ceux-ci permettent d’assister la création de parcours virtuels immersifs avec smartphone. Cette nouvelle offre de ressources immersives interroge les modèles pédagogiques qui seraient le plus à même d’intégrer cette technologie.

Utilisation de la réalité augmentée pour faciliter l’apprentissage et la mise en œuvre d’une pédagogie dite active.

D’emblée de nombreuses études constatent que l’utilisation de technologies immersives et en particulier avec la réalité augmentée ont des résultats sur les apprentissages des apprenants. La RA a un impact positif sur la motivation qui elle-même influence l’attention, élément important dans l’acquisition de connaissances (Lewis, Plante, et Lemire 20211). Cependant, l’intégration de cette technologie dans un dispositif pédagogique implique de concevoir une pédagogie qui mette l’apprenant en activité.

Les pédagogies actives placent les élèves au centre du processus d’apprentissage. Elles veulent être une alternative à l’enseignement magistral en proposant des situations-problèmes à résoudre, en favorisant des dispositifs de collaboration entre apprenants, en revendiquant le principe de l’essai-erreur, en mettant l’expérience au cœur de l’apprentissage. (Gilliot, s. d.). Cela remet évidemment en cause le positionnement de l’enseignant. Celui-ci n’est plus le transmetteur du savoir, installé devant la classe, mais l’accompagnant, celui qui guide l’apprenant dans la construction de son savoir.

Les pédagogies actives

Issues des théories constructivistes et socioconstructivistes, les pédagogies actives sont dans leur fondement dimensionnées pour intégrer des artefacts numériques tels les jeux sérieux ou les environnements virtuels immersifs. D’ailleurs, certains affirment que les dispositifs pédagogiques utilisant de la technologie augmentée enrichissent les apprentissages. L’apprentissage collaboratif avec la RA permet aux apprenants d’approfondir leurs connaissances en tentant de résoudre et d’explorer un problème en équipe (Demitriadou, Stavroulia, et Lanitis 2020). Elle s’adapte très bien à l’apprentissage inversé et accompagne l’apprenant dans une démarche individualisée qui peut lui permettre de travailler à son rythme (Chang et Hwang 2018).

Cependant, des limites de l’utilisation de la RA en situation d’apprentissage sont aussi constatées. Les limites peuvent être d’ordre technique mais aussi fonctionnel. En effet, dans leur conception, certaines applications prennent insuffisamment en compte l’expérience utilisateur, en l’occurrence celui à qui revient la charge d’orchestrer la mise en œuvre pédagogique : l’enseignant. La RA est conçue alors comme une ressource pédagogique mais la réflexion nécessaire à la création d’une situation d’apprentissage semble délaissée (Anastassova et al. 2007).

Par conséquent, l’apport de la RA dans un dispositif pédagogique est jugé convainquant et efficace. Toutefois, une des limites rapportée concerne en particulier une offre pédagogique adaptée aux besoins d’enseignement du pédagogue. Ce point est important à souligner surtout lorsqu’il concerne les enseignants du premier degré. Le métier exige une polyvalence caractérisée par une maîtrise de gestes pédagogiques propres aux nombreuses disciplines à enseigner. Tous n’ont pas la même aisance à enseigner un domaine car les profils sont variés du fait notamment de la formation initiale de chacun.

L’enseignement de l’Histoire à l’école primaire

Parmi les missions qu’il assigne au corps des enseignants, le Ministère de l’Education Nationale présente des objectifs généraux dans l’enseignement de l’histoire scolaire. L’école a pour but de construire une identité nationale, de former des citoyens éclairés partageant des repères culturels et intellectuels communs, de transmettre une mémoire nationale, sociale et patrimoniale (Souplet 2018).

Cependant, selon Benoit Falaize, les enseignants du primaire sont confrontés à des difficultés pour enseigner l’histoire à l’école. Tout d’abord, cette discipline inquiète les enseignants car elle est chargée d’enjeux politiques et mémoriels. Il affirme qu’il y a « aussi des questions didactiques ». Les enseignants non historiens se demandent quel document choisir, quel objectif poursuivre pour tel document, comment dérouler une séance, quelle activité mener ? Faut-il ou non « faire un récit »3. Bien souvent, l’outil pédagogique utilisé par l’enseignant est le manuel d’histoire-géographie. Les manuels concentrent tout le savoir scolaire sur lequel l’enseignant s’appuie pour orchestrer son cours.

La construction du discours

Il convient alors de s’interroger sur la construction du discours que tient l’enseignant auprès de ses élèves, s’il est calqué sur l’ouvrage, s’il dispose de connaissances suffisantes pour développer un récit historique ou s’il produit une narration issue de ressources provenant de la littérature de jeunesse, de vidéos, ou de reproduction d’œuvres d’art.

Il est également important d’évoquer la démarche pédagogique employée. Certaines études l’ont montré, bien souvent les enseignants orchestrent leurs cours d’histoire selon un enseignement magistral dialogué comme « privilégiant une logique d’exposition». Les recherches sur les situations d’apprentissage en classe mettent en évidence une organisation de séance selon une succession de « boucles didactiques » : le questionnement du professeur, les réponses des élèves, l’évaluation de la réponse et la formalisation par le professeur. Ce modèle démontre une « faible intensité » de l’activité des élèves.

Cet état de fait renforce de surcroît la parole du maître porteur du savoir mais ne permet pas aux élèves de construire leurs connaissances (Cariou, s.d.). De plus, même si l’acte de mémorisation des faits, des dates, des personnages est essentiel, cela ne prouve en rien que l’élève est capable de restituer le sens de l’histoire qu’on lui a enseignée. Pourtant, les exigences des programmes d’histoire mettent l’accent sur l’activité narrative de l’élève à l’oral et à l’écrit, ce que confirme Didier Carrioux qui insiste sur le fait que les écrits historiques aident à construire « une pensée historienne » (aggiornamento s.d.).

La construction des savoirs historiques

Didier Carrioux poursuit en indiquant que la production de récit écrit permet la construction de savoirs historiques car des compétences liées à la narration historique entrent en jeu : « personnification, figuration, modalisation, conceptualisation ». C’est à partir de ce travail que l’élève construit ses connaissances et accède au sens de l’histoire. Les programmes d’histoire insistent sur la construction de « repères historiques dans le temps », élaborés à partir de deux critères : la mémorisation et à la mobilisation « des repères dans un contexte historique »4. C’est là toute la construction du sens de l’histoire este en jeu.

Or, il est des témoignages qui reflètent les difficultés éprouvées par des professeurs des écoles à enseigner l’histoire, soit pas manque de formation, par manque de documentation, ou sur la façon d’aborder la complexité d’une période. Les enseignants déplorent également la difficulté qu’ont les élèves pour se représenter les périodes historiques : ils font preuve de beaucoup de confusions historiques, révélant un manque de maîtrise des repères historiques ou du vocabulaire spécifique à la période (Loison et al., s.d.).

Solutions didactiques et réussite des élèves

On peut s’interroger alors sur la dichotomie constatée entre, d’un côté des solutions didactiques visant à améliorer l’apprentissage de l’histoire, à favoriser la réussite des élèves dans le cadre des programmes et, d’un autre côté les problèmes rencontrés sur le terrain par les professeurs : construire des repères temporels stables et contextualisés.

La didactique de l’histoire est jugée parfois « peu structurée » : « les chercheurs bricolent avec des modèles empruntés aux autres didactiques et aux sciences sociales » (Lautier et Allieu-Mary 2008). Il peut-être alors utile et intéressant de réfléchir à un outil didactique conçu sur la technologie de la réalité augmentée pour l’apprentissage de l’histoire au travers de laquelle on puisse mettre en œuvre des situations pédagogiques variées, où l’élève se trouve dans une réelle activité de production et de construction de son savoir.

La création d’une application de réalité augmentée à des fins de recherche dicte nécessairement de développer une méthodologie de travail afin de répondre aux questionnements soulevés par la problématique de recherche.

Méthodologie de recherche.

Une méthode qualitative : objectifs et collectes de données

Objectifs et organisation

Cette thèse interroge les incidences positives ou non qu’aurait la RA sur les apprentissages des élèves, sur la pratique pédagogique de l’enseignant ainsi que sur la modification, si elle a lieu, du savoir à enseigner, de l’usage dans l’enseignement d’une technologie de réalité augmentée d’une part. Il s’agit aussi de savoir si une méthodologie de conception de l’activité pédagogique assistée par la RA peut être suffisamment générique pour qu’elle soit transposable à d’autres disciplines et ou d’autres niveaux scolaires. Pour cela, nous comptons nous appuyer sur une recherche qualitative.

L’objectif de cette démarche de recherche est de recueillir des données de terrain afin de tenter d’expliquer la plus-value ou non de l’usage d’une application de réalité augmentée sur l’apprentissage et sur l’acte d’enseigner. C’est par la mise en œuvre d’expériences en situation écologique, c’est-à-dire en classe, que nous observerons, mesurerons les effets sur les apprentissages.

Des groupes témoins

Pour ce faire, nous disposerons de groupes témoins qui pour certains recevront un enseignement dit « académique », ou tout au moins sans l’apport d’une technologie immersive alors que d’autres groupes vivront l’expérience d’un enseignement avec la RA. L’intérêt de disposer de plusieurs groupes expérimentant la RA se justifie car l’objectif du projet est de mesurer l’usage de l’artefact selon des dispositifs pédagogiques prédéfinis. Ainsi nous pourrions mettre en parallèle les résultats des expérimentations menées sur les groupes ayant vécu des situations d’apprentissage spécifiques. Rappelons que nous souhaitons ancrer la démarche expérimentale dans une variété d’organisations pédagogiques dites actives qui engagent l’élève dans une démarche constructive de son savoir de façon soit personnelle, soit collaborative. Il ne s’agit pas nécessairement d’annoncer quel dispositif serait le plus performant, mais de brosser un large éventail des points positifs, négatifs, et des améliorations à apporter dans la combinaison d’un enseignement avec une solution numérique immersive.

Une collecte de données sur le terrain

Par ailleurs, la collecte des données sur le terrain prendra plusieurs formes. Tout d’abord, nous nous appuierons sur le recueil de témoignages sous forme d’entretiens soit d’élèves soit d’enseignants. Pour les apprenants, nous pouvons par exemple sonder leurs impressions dans l’utilisation de cette technologie en les questionnant sur leur motivation, la perception de leur apprentissage, sur ce qu’ils pensent avoir réussi ou non, si une utilisation individuelle ou en équipe est préférable et comprendre les raisons de leurs choix. Des captations vidéo, des expérimentations lors de l’usage de l’application pourraient être réalisées, densifiant ainsi le répertoire de données.

Il nous faut aussi questionner l’enseignant, garant de l’organisation pédagogique, sur l’intérêt qu’il y aurait de travailler avec une application immersive. L’enseignant étant l’utilisateur de cet artefact, outil avec lequel il doit composer pour planifier son enseignement, nous pouvons imaginer de concevoir ensemble l’application. Pour cela, il faut identifier les objectifs et les besoins de l’enseignant. Ainsi, les objectifs et les besoins émanent des utilisateurs qui doivent être pris en compte. C’est pourquoi établir une Recherche Orientée par la Conception semble être une méthode appropriée pour concevoir et recueillir des données.

La méthode de Recherche Orientée par la Conception (ROC)

Ainsi, afin de répondre à ces nouveaux besoins, accroître notre répertoire de données et nous aider à nourrir notre réflexion, nous pourrions envisager un développement collaboratif de l’application entre l’enseignant et le chercheur dans le cadre d’une Recherche Orientée par la Conception (ROC).

Une ROC est une collaboration entre le chercheur et le praticien. Elle a pour but de produire un prototype qui doit être testé en condition écologique. A la différence de l’expérimentation en laboratoire, le test en condition écologique révèle des situations complexes et non envisagées. Face à ces imprévus, le test incite à revoir alors des hypothèses de conception initialement formulées (Sanchez et Monod-Ansaldi 2015).

Le croisement de regards professionnels

L’intérêt de ce procédé pour notre projet réside dans le croisement de regards d’enseignants répondant aux questions sur leur usage du numérique dans leur pratique professionnelle, d’une planification de leur enseignement en rapport avec la technologie immersive de RA, et de livrer une vision qui pourrait répondre et définir leurs besoins. Ce sont leurs témoignages, leurs perceptions, leurs réflexions sur l’enseignement, l’utilisation du numérique qui nous aideront à réaliser le prototype de l’application. Le prototypage conduit à des expérimentations en classe pour établir un recueil des données d’exploitation de l’usage. Ces recueils sont de nature ethnographique : entretiens, questionnaires.

La conception d’un artefact de réalité augmentée deviendrait alors un objet d’étude situé au carrefour de la didactique, de l’ingénierie pédagogique et des théories de l’apprentissage. C’est à partir de sa conception et de son usage que nous pourrions expérimenter, observer, procéder à des itérations afin par la suite de mesurer les effets sur les apprentissages des élèves, sur la pratique pédagogique de l’enseignant en lien avec les théories pédagogiques dites actives.

Conception et développement d’une application de réalité augmentée centrée sur l’apprentissage de l’histoire.

Objet central de l’étude, la conception d’une application de réalité augmentée doit être l’élément central et nécessaire à développer au préalable de toute expérimentation. C’est à partir de cet artefact que la question de recherche et les hypothèses qui en découlent pourront être ou non validées. Auparavant une présentation du contexte permettra de mieux appréhender les finalités de l’application.

Fondement du projet

Un des thèmes du programme de cm2 est le traitement des conflits du XXe siècle. La première Guerre Mondiale en est un thème majeur. Elle illustre la brutalité du conflit avec son format de guerre figée pendant toute sa durée. Les élèves ont déjà entendu parler de cet événement probablement évoqué dans un cadre privé mais ne l’ont en revanche, à cet âge-là, jamais étudié à l’intérieure d’une discipline scolaire, avec une lecture chronologique et thématique. La dimension mémorielle de cet événement se manifeste également par l’écho des célébrations institutionnelles qui lui sont consacrées : 11 novembre, Monument aux morts, et qui sont des événements que l’enseignant ne peut passer sous silence et qu’il doit, si possible, exploiter en classe comme l’exhortent les finalités des programmes d’histoire dans le but de construire une identité et une mémoire nationale.

Cette période fructueuse par la quantité de ressources qu’elle recèle doit être bornée aux principaux faits historiques. Pour autant, les témoignages des acteurs de ce conflit alimentent l’envie d’en découvrir davantage et d’approfondir l’exploration. Cela nécessite investissement, ressources, et temps pour travailler en classe. Evidemment les entrées sont multiples notamment en littérature.

Pour donner davantage de crédibilité au discours, au parcours d’apprentissage à inventer et amender l’enseignement de l’histoire, nous avons sollicité la participation d’un acteur culturel : le musée de la Grande Guerre de Meaux (77).

Un acteur culturel : le musée de la Grande Guerre de Meaux

Au-delà de sa finalité de conservation, de diffusion d’un patrimoine fondateur d’une mémoire commune, un musée a une mission pédagogique essentielle : communiquer auprès des publics et des scolaires en particulier. Le musée est le lieu de visite par excellence où l’on se rend en famille ou avec sa classe. Mais il est parfois difficile d’y accéder : éloignement physique ou barrière culturelle. L’idée originale que peut proposer la réalité augmentée est de faire entrer les collections du musée dans la classe. Sans pour autant se substituer à une visite réelle, ce qui donnerait la possibilité d’ouvrir le musée aux élèves les plus éloignés.

Le musée de la Grande Guerre de Meaux est riche d’une collection de plusieurs milliers d’œuvres, d’objets, documents qui ponctuent un parcours de visite permettant d’appréhender l’aspect militaire du conflit mais aussi les enjeux et problématiques humaines et sociétales. Le musée s’appuie sur des reconstitutions qui nous immergent dans une réalité tangible. Cette offre muséale aide le spectateur à construire des représentations mentales de la Première Guerre et à appréhender tout au long de la visite un discours sur le conflit et ses incidences dans la vie politique, économique, techniques, technologique et quotidienne des hommes tant soldats que civils. Pour des élèves de cm2 une visite est un excellent approfondissement de l’enseignement reçu en classe.

Les parcours d’apprentissage scénarisés

Toutefois, ces nombreux objets ou reconstitutions donnés à voir ne pourraient-ils pas pour une petite poignée d’entre eux faire partie d’un parcours d’apprentissage scénarisé dans l’application de réalité augmentée et utilisable par l’enseignant en classe ? Ces objets possèdent la vertu d’être soit des vestiges existants de l’époque, soit d’être une reconstitution établie à partir de critères historiques. Leur point commun est qu’ils possèdent tous une validation historique et scientifique. Intégrer ces artefacts dans une application de RA pourrait donner aux parcours d’apprentissage une puissante crédibilité au récit car ils incarnent une véracité tangible de l’histoire de la Première Guerre.

Evidemment, la participation de certains services du musée (ceux de la conservation, des collections et des publics) à l’élaboration d’une application pour l’enseignement de la Première Guerre nécessite de s’accorder sur leurs interventions. Le musée étant propriétaire des collections, il est dans son droit de décider quels objets provenant de son fond peut servir à illustrer l’application. Par ailleurs, dans une perspective de collaboration, qui est de soumettre des objets pour illustrer des parcours, le musée est aussi le garant du discours historique et scientifique en répondant à des objectifs d’apprentissage préalablement déterminés. Techniquement, nous réaliserons des captations vidéo des objets sélectionnés. L’environnement immersif recevra ensuite ces objets.

La participation muséale

La participation d’une institution muséale comme le musée de Meaux dans ce projet de recherche suggère de définir au préalable les cadres de notre partenariat. Cette collaboration devrait déboucher sur une convention entre le musée et l’Université pour notamment l’exploitation des collections.

Afin de mettre en valeur certains objets issus des collections du musée nous pensons que la conception d’un outil de RA peut proposer une étude approfondie de cette période, engagé pleinement l’élève dans une activité productrice et créatrice et aider l’enseignant à orchestrer une pédagogie dynamique.

Une application de réalité augmentée

De nombreuses études sur les technologies immersives en éducation (réalité virtuelle, réalité augmentée, réalité mixte) pointent du doigt l’aspect motivationnel qu’elle provoque chez les apprenants qui travaillent avec (Lewis, Plante, et Lemire 2021). La motivation est le moteur d’un apprentissage réussi ayant également pour avantage d’améliorer la concentration et la visualisation des concepts (Lewis, Plante, et Lemire 2021).

Le projet vise à sortir d’un enseignement que nous pourrions qualifier de « classique », basé sur l’étude de manuels, d’iconographies, de ressources vidéo ou sonores. Nous souhaiterions proposer un objet didactique décrivant un parcours initiatique à partir d’un environnement virtuel et immersif, qui saura susciter espérons-le dans un premier temps curiosité et envie mais en ayant toujours une volonté pédagogique.

Pour ce faire, un des thèmes ciblés pour l’étude de la Première Guerre porterait sur le concept de la guerre de tranchée. Ce concept décrit le format de la guerre caractéristique du conflit, la vie des soldats, l’armement utilisé. Concrètement, telle que nous pourrions l’envisager, l’application pourrait prendre la forme d’une maquette de tranchée reconstituée à partir de laquelle la réalité augmentée viendrait prolonger l’expérience d’apprentissage de l’élève. La réalité augmentée fournirait des informations de type « connaissances » ou bien des « questions-problèmes ».

L’ingénierie pédagogique pour déterminer des besoins et fixer des objectifs

Dans la conception d’un outil numérique, l’ingénierie pédagogique revêt plusieurs fonctions.

Tout d’abord, il s’agit de déterminer des besoins d’apprentissage en questionnant plusieurs points :

  • les enjeux : en quoi une application de RA peut-elle contribuer à améliorer l’apprentissage des élèves ?
  • le contexte : comment adapter cette application pour l’apprentissage de l’histoire à l’école?
  • le public : comment proposer une application utilisable par les élèves et par l’enseignant ?
  • les modalités d’usage : comment rendre cette application exploitable en classe dans des dispositifs pédagogiques variés?

L’ingénierie doit déterminer des objectifs d’apprentissage et pédagogiques. Sur le plan des apprentissages, il s’agit de mesurer les degrés de compréhension, de restitution des connaissances après utilisation de l’application. Sur le plan pédagogique, cela consiste à planifier des scénarios en fonction de modalités d’usage. Puis, la rédaction de scénarios pédagogiques doit mettre en cohérence les méthodes d’apprentissage (constructivisme, socioconstructivisme, …) avec les outils qui les serviront, ici la RA. Issue des scénarios, la création de ressources compose les contenus : les connaissances à transmettre, et leur mise en forme dans le cadre d’objectifs à atteindre. On trouvera des connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles. Enfin, l’évaluation de la solution doit ponctuer le parcours. L’évaluation se déroule selon des itérations expérimentées en classe. Ces itérations se font avec le concours d’enseignants volontaires prenant la forme d’une conception centrée utilisateurs matérialisée par une Recherche Orientée par la Conception (ROC).

Une Recherche Orientée par la Conception (ROC)

Afin de répondre à des besoins partagés par les utilisateurs et rendre cette application suffisamment générique pour une utilisation en classe auprès, imaginons-le, de n’importe quel autre professeur concerné par le sujet de l’enseignement de l’histoire, nous pouvons imaginer un développement en y associant des enseignants. Comme cela a été évoqué antérieurement dans la partie méthodologie, l’idée de mettre en œuvre une ROC sert à développer un prototype. Nous le testerons en condition écologique pour vérifier nos hypothèses de recherche et de conception.

Le prototype expérimenté livre des données avec les retours des utilisateurs (élèves, enseignants). Leurs témoignages sont une réponse à leurs attentes et à leurs besoins. Ces itérations nous permettront d’évaluer l’application et d’en apporter des modifications. La mise en place d’une ROC faite à partir des entretiens des enseignants et à propos de leurs visions de l’application, peut aboutir à une méthodologie qui soit suffisamment générique, et qui puisse engendrer un ou des modèles de conception que l’on pourrait appliquer à d’autres projets orientés RA. Issus des recueils des besoins des enseignants, nous pourrions créer des outils de conception pouvant être adaptés à d’autres disciplines.

Des tests en classe

Dans un premier temps nous testerons la première version de l’application en classe. Nous mènerons l’expérience pour évaluer la solution afin d’identifier les obstacles à l’utilisation : l’interface et l’adaptation aux différents formats pédagogiques. Dans un deuxième temps, nous intégrerons d’autres enseignants dans la ROC pour tester la solution (sans les élèves). Enfin dans un troisième temps, les PE utiliseront la solution en situation d’enseignement en classe, selon un format pédagogique prédéfini.

Enfin, le développement de cette application s’inscrit dans une démarche de gestion de projet. Tel que nous voulons le penser, ce projet s’inscrit dans une durée dont le tableau ci-dessous expose les grandes lignes.

AnnéesActeursDéveloppementRecherche/expérimentation
1Xavier Nédélec (Professeurs des Ecoles)Conception de l’application. Développement de l’application. ItérationRevue de littérature sur les questions de l’usage de la RA en éducation et les questions de didactique de l’histoire. Expérimentation de l’application en « laboratoire ».
2Xavier Nédélec Professeurs des Ecoles (PE) volontairesRecherche Orientée par la Conception (ROC) avec PE. Itération et modifications de l’application.Expérimentation en classe (moi). Recueil de données PE. Recueil des données élèves. Analyse et premières validation des hypothèses.
3Professeurs des Ecoles (PE) volontairesRecherche Orientée par la Conception (ROC) Expérimentation de l’applicationDeuxième test en classe par les PE Recueil des données élèves et des données PE.
4Xavier Nédélec
Rédaction du mémoire de thèse

Conclusion

Par nature, l’école est le réceptacle idéal pour travailler avec des environnements numériques virtuels. Toutefois, même si elle est le lieu de l’éducation et de la formation, elle est encore aujourd’hui insuffisamment disposée à utiliser toute l’innovation technologique qui s’offre à elle. Les coûts d’investissement mais aussi le niveau de compétence et de formation des enseignants pour intégrer des objets numériques dans leur pratique sont des obstacles à son développement en classe.

Il est probable que l’intégration de nombreuses solutions ne réponde pas suffisamment aux besoins que pourraient souhaités par les enseignants. Le design est peut-être trop restrictif ? Ou bien, les méthodes d’enseignement ne sont-elles pas adaptées à l’intégration de ces outils numériques ? Certaines pratiques pédagogiques ne devraient-elles pas être revues et corrigées si l’on veut s’appuyer sur l’outil numérique pour enrichir les ressources didactiques ?

Une question émergente

Le sujet de la réalité augmentée au sein de l’éducation est une question qui émerge de plus en plus depuis quelques années car la technologie s’améliore, les applications se démocratisent et se diversifient. La réalité tangible s’enrichit d’informations permettant de comprendre notre environnement réel. Ainsi, nous percevons à travers son utilisation de multiples possibilités d’apprendre, d’enrichir son savoir.

L’ambition de proposer une application de réalité augmentée pour l’enseignement de l’histoire à l’école élémentaire a pour volonté d’interroger la question de l’usage et de l’intégration d’outils numériques, de questionner les besoins d’enseignement des enseignants pour en mesurer l’efficacité dans l’apprentissage des élèves et d’interroger les usages au sein de dispositifs pédagogiques innovants.

Réfléchir aux besoins des enseignants

S’intéresser aux besoins des enseignants revient à les questionner sur leurs pratiques, leurs besoins, leurs appréhensions. C’est pourquoi les associer au développement d’une application de RA, c’est s’assurer dans un premier temps de créer une adhésion au principe même d’utiliser la RA,. C’est inciter à réfléchir aux questions pédagogiques sous-jacentes à l’usage et à la manière de favoriser l’apprentissage des élèves.

Mais sans pour autant être sûrs du bénéfice que cela pourrait apporter, il nous faut mesurer l’efficacité de cette technologie auprès des élèves. Les apprentissages s’inscrivent-ils nécessairement dans des pratiques pédagogiques actives ? Les élèves progressent-ils ou bien la RA ne demeure-t-elle qu’un objet superficiel ? Contextualisé dans l’enseignement spécifique de l’histoire, la RA est-elle une plus-value pour le professeur des écoles ? Amende-t-elle le discours de la discipline au regard d’un enseignement classique ?

Les questions sont ouvertes à l’expérimentation en situation écologique. La constitution d’un catalogue de données suffisamment exhaustif aidera à analyser les effets sur les apprentissages et l’enseignement de l’histoire et à justifier l’emploi ou non de cette technologie immersive virtuelle à d’autres champs disciplinaires.

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2 http://mirage.ticedu.fr/

3 http://www.cafepedagogique.net (2016)

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